Si ‘Terminator 2 : Le Jugement Dernier’ a redéfini le blockbuster en 1991, ‘Speed’, sorti en 1994, a transformé l’approche du film d’action.
Une idée simple qui devient un thriller explosif
L’idée de ‘Speed‘ germe lorsqu’Elwy Yost, célèbre animateur canadien, raconte à son fils Graham Yost l’intrigue de ‘Runaway Train‘ (1985), bien qu’il en déforme involontairement un élément crucial : il mentionne une bombe pour expliquer l’impossibilité d’arrêter le train. Ce qui inspire à Yost l’idée d’un bus piégé. Concevant initialement que la bombe exploserait si le bus descendait sous les 20 miles par heure, Graham Yost reçoit le conseil de pousser la vitesse limite à 50 miles, créant ainsi le fil rouge du film. Intitulé ‘Minimum Speed‘, le projet change ensuite de nom pour ‘Speed‘, afin d’éviter toute perception de lenteur dans le titre.
D’abord proposé à Paramount Pictures, le projet se voit refusé par le réalisateur John McTiernan, qui le juge trop proche de ‘Die Hard‘ (1988). Jan de Bont, alors directeur de la photographie sur des films comme ‘Piège de Cristal‘ et ‘À la poursuite d’Octobre rouge‘, accepte de diriger ‘Speed‘.
Un duo magnétique
Avant que Keanu Reeves n’incarne Jack Traven, des acteurs comme Tom Cruise, Wesley Snipes, et même Stephen Baldwin, déclinent la proposition. De Bont finit par opter pour Reeves, qu’il admire pour sa performance dans ‘Point Break‘ (1991), et voit en lui un équilibre rare de vulnérabilité et de force, idéal pour le rôle de Traven.
Quant au rôle d’Annie, il passe par des modifications importantes, car le personnage devait initialement être une ambulancière, mais évolue finalement en une acolyte au tempérament léger. Après avoir envisagé Halle Berry et Ellen DeGeneres, la production propose le rôle à Meryl Streep, Kim Basinger et Anne Heche, qui ont toutes refusées. Sandra Bullock est sélectionnée après une audition qui confirme une alchimie unique entre elle et Keanu Reeves.
Lors d’une interview avec Ellen DeGeneres en 2018, Sandra Bullock a avoué qu’elle avait eu un béguin pour Keanu Reeves. ‘Je pense à la douceur de Keanu Reeves, et à sa beauté. C’était difficile pour moi d’être sérieuse. Il y a quelque chose en moi qu’il n’aimait pas, j’imagine.‘. Un an plus tard, Reeves, également invité dans l’émission, admet que ses sentiments étaient réciproques, ajoutant avec un sourire : ‘Elle ne savait manifestement pas non plus que j’avais le béguin pour elle.‘.
En 2021, lorsqu’Esquire a interrogé Sandra Bullock à ce sujet, elle a déclaré que le malentendu était probablement dû à la nature réservée de Keanu Reeves : ‘Il vous rend fou. Quand je l’ai rencontré pour la première fois, je passais le plus de temps possible à combler un silence, juste pour me sentir à l’aise. Et plus je baragouinais, plus il devenait silencieux. Et je me disais : ‘Je ne comprends pas ce qui se passe ! Il me regarde avec des yeux confus. Il est silencieux. Ai-je dit quelque chose qui l’a offensé ? Et puis, un jour ou deux plus tard, il arrivait avec une note ou un petit paquet, disant : ‘J’ai réfléchi à ce que tu as dit’. Et il avait sa réponse.‘
L’empreinte de Joss Whedon
Appelé en renfort au milieu de la production, le scénariste Joss Whedon (Buffy contre les vampires) influence de manière décisive le film, en réécrivant environ 90 % des dialogues, bien qu’il ne soit pas crédité. Whedon modifie les échanges pour façonner un personnage de Traven plus subtil et respectueux. Keanu Reeves, qui avait passé du temps avec les équipes du SWAT pour préparer son rôle, suggère de rendre le personnage moins arrogant, insistant pour qu’il utilise son arme avec modération et reste courtois avec les civils.
Interviewé dans le cadre du podcast ‘50 MPH‘, Joss Whedon explique : ‘[Keanu Reeves] a parlé de [faire des recherches pour le rôle en traînant] avec les gars du SWAT et de la façon dont ils étaient d’une politesse sans faille. [Il a dit que] ils ne visent qu’à désamorcer la situation, ils appellent tout le monde ‘monsieur’ ou ‘madame’. C’était comme un déclic – c’était tout. Je comprends ce personnage maintenant. Mon point de vue était le suivant : ce n’était pas un tireur d’élite, c’était un penseur latéral. Il allait faire ce qui lui semblait juste et avoir une approche étrange, mais d’une manière générale, cela fonctionnerait. Ce ‘monsieur ou madame’ m’a tellement apporté, parce que la vantardise [des héros de films d’action] était à l’ordre du jour et là, c’était le contraire. [Keanu Reeves] a également dit : ‘e ne veux pas sortir mon arme.’ Et je lui ai dit : ‘’Je ne veux pas que tu le fasses non plus mais tu dois en quelque sorte le faire… [Le studio] ne va pas te laisser ne pas sortir ton arme.’‘
Cette approche a contribué à construire une figure de héros qui se démarque des clichés habituels. Graham Yost a précédemment déclaré que ‘98,9 % des dialogues finaux‘ reviennent à Joss Whedon.
Repousser les limites
L’histoire suit une construction narrative en trois actes : l’ascenseur, le bus et le train. La Fox impose cette structure par crainte que l’action dans le bus ne suffise pas, mais ce découpage accroît l’intensité de chaque étape et aboutit à des séquences mémorables. Dennis Hopper, dans le rôle de l’antagoniste impitoyable, ajoute une tension omniprésente. Le style visuel et la mise en scène de Jan de Bont assurent à ‘Speed‘ un rythme intense. Pour immerger le public dans l’action, le réalisateur préfère des plans en mouvement constant, où la caméra explore l’action sous différents angles.
En 2020, Jan de Bont explique à Collider : ‘Nous voulions vraiment donner un nouveau souffle aux films d’action, parce qu’à l’époque, ils étaient devenus si statiques, si plats et si répétitifs. Nous voulions vraiment changer les choses. En le rendant beaucoup plus libre, avec une caméra plus lâche, en n’utilisant que trois lieux et en faisant des scènes dans lesquelles la caméra circule d’un endroit à l’autre, avec des acteurs qui font eux-mêmes certaines de leurs cascades, beaucoup de leurs cascades… Vous pouvez le voir. Il s’agit essentiellement d’essayer de représenter le point de vue du public […] Il ne s’agit donc pas d’une position de caméra statique, immobile, liée au sol. La caméra prend la position de quelqu’un qui veut en savoir plus, qui veut en voir plus. C’est un travail d’investigation.‘
Accompagné par la bande originale signée Mark Mancina, également à l’origine des thèmes de ‘Bad Boys‘ l’année suivante, le film bénéficie d’une tension musicale omniprésente du début à la fin.
Un modèle du ‘high concept’
‘Speed‘ est un modèle du ‘high concept’, où une seule idée accrocheuse, ici ‘un bus explose s’il ralentit’, suffit à séduire spectateurs et producteurs. Après les testostéronés Arnold Schwarzenegger, Sylvester Stallone, Jean-Claude Van Damme, et le héros ordinaire incarné par Bruce Willis avec John McClane, Keanu Reeves a apporté avec Speed un nouveau profil zen au film d’action. Après Speed, Reeves a enchaîné les rôles emblématiques qui redéfiniront le genre pour les décennies suivantes, comme Neo dans Matrix et bien sûr John Wick, qui révolutionne le film d’action post-2010.
L’héritage de ‘Speed‘ réside aussi dans l’alchimie mémorable entre Keanu Reeves et Sandra Bullock, rappelant celle d’autres duos d’acteurs dont l’amitié profonde a marqué le public, tels que Leonardo DiCaprio et Kate Winslet dans ‘Titanic‘, Andrew Garfield et Emma Stone dans ‘The Amazing Spider-Man‘, ou encore Bradley Cooper et Lady Gaga dans ‘A Star Is Born‘.
Bien qu’ils aient chacun poursuivi leur carrière, Reeves et Bullock sont restés liés par une amitié durable, semblable à celle qui unit Reeves à sa partenaire de ‘Matrix‘, Carrie-Anne Moss. En 2006, Keanu Reeves et Sandra Bullock se sont retrouvés dans le remake du film sud-coréen ‘Il Mare‘, intitulé ‘Entre deux rives‘, une romance épistolaire entre deux locataires d’une même maison, mais séparés par le temps. Depuis, les deux acteurs n’ont cessé d’exprimer leur souhait de tourner à nouveau ensemble.
Lors d’une projection spéciale de ‘Speed‘ en octobre, au Beyond Fest de l’American Cinematheque au Egyptian Theatre, en compagnie du réalisateur Jan de Bont, ils ont évoqué leur désir d’un potentiel Speed 3. Quelques jours après, Steve Asbell, président de 20th Century Studios, a confirmé que le studio envisageait sérieusement un troisième volet réunissant les deux stars.
Trente ans après, ‘Speed‘ conserve son statut de film culte. Encensé par des réalisateurs, dont Quentin Tarantino, qui le classe parmi les 20 meilleurs films de sa génération, ‘Speed‘ incarne l’essence du thriller d’action où l’intensité reste à son comble jusqu’à la fin.