En octobre dernier, lors du Festival Lumière de Lyon, nous avons eu la chance de découvrir Roma, le nouveau film d’Alfonso Cuarón, sur grand écran. Événement rare puisque ce dernier sort ce vendredi 14 décembre sur Netflix, privé dès lors de sa potentielle exploitation en salle. Un choix atypique pour ce film indépendant produit par son propre réalisateur dans son pays d’origine – le Mexique – et distribué par la firme américaine au ‘N’ de sang.
Lorsqu’on l’interroge sur la question, Cuarón s’en défend ainsi : ‘Lorsque je me suis mis à la recherche de partenaires pour la distribution de Roma, les gens de Netflix ont été ceux qui ont su apporter la meilleur réponse en terme de visibilité mondiale. Personne d’autres que Netflix n’était prêt à porter aussi haut un drame familiale situé dans le Mexique des années 70 sans aucune tête d’affiche pour l’incarner. Est-ce que je suis déçu de savoir que le film ne sera pas visible partout sur un écran de cinéma ? Oui bien entendu. Mais il faut penser à la postérité. Lorsque j’étais jeune, j’ai découvert des tas de films sur ma vieille télé cathodique et pourtant leur impact n’a pas été diminué. Aujourd’hui, les gens regardent le cinéma sur leur smartphone ou tablette, c’est dans l’air du temps. Passer par Netflix permet de toucher instantanément ce public.‘
Une justification tout à fait recevable mais qui témoigne d’un certain paradoxe. À la vision de Roma, une évidence s’impose : Le film à été conçu dans ses moindres détails POUR la salle de cinéma. C’est perceptible à chaque instant. De ses cadrages à son design sonore en passant par le choix de la pellicule – le film est tourné en numérique avec des optiques d’époques mais une copie à été tiré en 70mm pour sa projection dans certains cinémas – tout dans Roma transpire l’amour du médium. De fait, il est étonnant de constater que Cuarón, qui semble si amoureusement relié à cette amour de la projection ait pu choisir Netflix comme collaborateur. Malgré tout, les récentes rumeurs d’une future sélection aux Oscars 2019 ainsi que les rares projections du film à travers le monde tendent à lui donner raison.
Loin des étiquettes et des tergiversations éthiques ou politiques, il y a aussi le film lui-même. N’ayons pas peur des mots, Alfonso Cuarón signe sa meilleur bobine depuis Les Fils de l’Homme – NDLR : Je ne suis pas très fan de Gravity. En voulant rendre hommage à la nourrice qui l’a élevé, le réalisateur accouche d’un film personnel composé à 90% de ses souvenirs d’enfance. Un drame intimiste, mêlant la petite à la grande histoire, mais se concentrant exclusivement sur l’humain et les émotions. Insufflant à chaque image un gain de vie prodigieuse, Cuarón compose son film comme une succession de tableaux brossant le portrait de cette famille des années 70. Majoritairement composé de plans fixes ou de travelling – dans un noir et blanc envoutant – la mise en scène du réalisateur se veut moins ostentatoire que d’habitude. On pourrait presque voir en Roma un contrepied de Gravity tant les partis pris semblent radicalement opposés. Budget restreint, rythme délibérément lent, mise en scène minimaliste et durée plus longue (2h15 pour Roma contre les 1h30 de Gravity), sont autant de différences semblant signifier un changement de paradigme chez le réalisateur. Ce serait faire erreur.
Si Alfonso Cuarón signe un film du retour – retour dans son pays natal et sa langue maternelle, dix ans après Y tu Mamá Tambien, c’est pour mieux réinterpréter les enseignements qu’il a pu expérimenter à Hollywood. ‘Je fais chacun de mes films dans le but d’apprendre à mieux faire le suivant.‘ déclarera le réalisateur lors de la masterclass donnée à l’occasion du festival. ‘Je pense que les outils qui m’ont servis à faire Gravity sont utilisable pour un film du genre de Roma, et j’avais envie de me le prouver.‘
Effectivement, le simple plan d’ouverture servant d’introduction – et de générique – à Roma est une illustration merveilleuse de cette approche. Cadrant fixement le carrelage d’une résidence luxueuse (future décor principal du film), les seaux d’eau, déversés successivement pour laver le sol, formeront une flaque dans laquelle finira par se refléter le décollage d’un avion. Une virtuosité formelle sophistiqué qui révélera une sensibilité intériorisé parfaitement délimité. Un désir de liberté et d’évasion prenant place dans un cadre naturellement réduit, contraint par des obligations sociétales.
Ne vous y méprenez pas. Il ne faut pas chercher à voir dans Roma, une quelconque critique à charge du Mexique. Loin de faire dans la politique – même si cette dernière sert de toile de fond – Cuarón cherche avant tout la vérité des sentiments au sein de son film. Transcendant des moments d’intimités nichés dans des recoins oubliés, le réalisateur parvient à subjuguer en mettant l’emphase sur les détails les plus infimes. Ici, une tasse brisée sera annonciatrice d’un grand malheur. Là, un petit acte de bravoure sera un événement cathartique d’une rare puissance. Avec délicatesse, les gestes les plus anodins deviennent aussi captivant que déterminant pour les personnages qui les exécutent. Posant un regard profondément empathique sur ses protagonistes, Alfonso Cuarón prend bien soin d’esquiver tout jugement de valeur et trouve la distance parfaite entre recul et naïveté.
Résulte de Roma une œuvre à fleur de peau qui révèle une grandeur insoupçonné dans des gestes du quotidien qui sauront parler à chacun d’entre nous. En rendant ainsi hommage à Liboria Rodríguez, sa nourrice avec qui il a gardé de fort lien depuis l’enfance, Cuarón surprend par sa narration lancinante et sa maitrise formelle. Faisant de simples scènes de vie de magnifiques œuvres d’art, Roma offre pléthore de moments de grâce touchant par leur simplicité. Une finesse d’approche révélant toute la maturité d’un cinéaste en pleine possession de ses moyens.
Alors même si Roma n’a pas le plébiscite des salles de cinéma, il n’est pas moins certain qu’il est en lice pour obtenir celui du public. Sa maestria saura parler pour elle-même, quel que ce soit le support de visionnage.
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