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[CRITIQUE] La Glace et le Ciel : Une aventure du pôle sud au réchauffement climatique

La Glace et le Ciel est un film documentaire de Luc « La Marche de l’Empereur » Jaquet, dans lequel le réalisateur nous emmène sur les traces de Claude Lorius, éminent glaciologue.

Le film commence en 1957 pour s’arrêter aujourd’hui, sur un Claude Lorius crapahutant en Antarctique du haut de ses 80 ans. Pour nous peindre l’étonnante vie du glaciologue, Luc Jaquet a puisé dans différents fonds d’archives, a relié le tout par le fil d’une voix off omniprésente et ancre le résultat dans le « maintenant » avec des plans de l’octogénaire de retour dans le grand Sud.

Indiana Jones au rayon grand froid

Pourquoi un film sur Claude Lorius ? Hors les évidentes affinités entre les deux personnages, amoureux de grands espaces froids, Claude Lorius suscite l’intérêt par ses contributions à l’Histoire et à la science. Il est le premier à avoir apporté les preuves scientifiques du réchauffement climatique. Loin d’être un rat de laboratoire, sa vie de recherche au pôle Sud fut une longue aventure, émaillée de défis relevés et de limites repoussées. Comment donc ne pas être tenté de raconter la vie de cet Indiana Jones des glaces qui a pour lui de ne pas être un personnage de fiction ?

Certes, il n’a pas de fouet et ne combat pas des nazis qui tentent de réveiller une entité maléfique. Cela ne l’empêche pas de braver les éléments avec des équipements inadéquats, ni de braver un public qui n’est pas prêt à entendre que l’homme est en train de modifier le climat. (Ce plan de l’emmerdeur de pingouin au bonnet rouge, qui prend Lorius pour un illuminé mythomane…).

En plus d’être un aventurier scientifique, Claude Lorius est un personnage historique et un héro dont les inévitables failles ne sont qu’évoquées du bout des lèvres. Cependant, le film se concentre sur les recherches du glaciologue et de ses confrères. Le documentaire aurait certainement gagné à avoir une narration plus proche du personnage et de ses doutes et sentiments – mais c’est l’amateur de fiction qui vous parle.

Qu’importe le flacon…

Le film nous a été présenté comme pionnier d’un nouveau format, celui du documentaire d’aventure. L’idée derrière cette étiquette (car il en faut toujours, ça rassure les étiquette) est que la Glace et le Ciel serait un documentaire qui procurerait les même frissons qu’un Indiana Jones, mais en utilisant des faits et personnes réels. Divertir et (r)enseigner…

Cette étiquette n’est pas particulièrement pertinente dans la mesure où l’omniprésence de la voix off demande une période d’acclimatation pendant laquelle le spectateur peut ne pas prendre partie à l’aventure. Le verbiage est hypnotique voire assommant le temps de s’y habituer ; puis il se suit avec plaisir et parfois même délectation tant le texte est soigneusement écrit. La voix ne se contente pas de commenter et lister des faits, elle véhicule aussi des émotions et se fend de quelque poésie.

De la même façon, cette affirmation qu’il s’agit du premier de son genre n’est pas particulièrement vraie. En effet, combien de documentaires utilisent le même format (montages d’archives) ou ont ce même souffle aventurier (pour ne citer que des séries britanniques : An Idiot Abroad ou Last Chance to see) ?

Pour autant, ne nous attardons pas plus sur cette question d’étiquette qui est finalement de peu d’importance.

… mais un sacré flacon quand même

Si la voix off peut être un peu envahissante et demandera quelques efforts de concentration à certains d’entre nous, on ne peut enlever au film d’être un tour de force formel. L’écrasante majorité des images utilisées sont des images d’archives, issues de différentes sources (personnelles, institutionnelles, professionnelles, etc.). Leur qualité alliée à un exceptionnel travail de montage les sublime complètement. Elles s’intègrent ainsi parfaitement dans l’épaisse narration du film, jusqu’à en devenir un véritable spectacle où se jouent Histoire et Aventure. A dire vrai, elles s’intègrent tellement bien que ma première pensée fût : « bon, ils ont retourné les scènes, ont fait péter le grain 8 ou 16mm et nous font croire à de l’image d’archive ». Le film prouve qu’avec de belles archives et un monteur de talent, on peut dépasser beaucoup de limites formelles.

Au-delà de toutes les problématiques de fonds ayant trait au réchauffement climatique, la forme du film pose une autre question, celle de la conservation des archives audiovisuelles. En ces temps de coupes sèches dans les budgets de la culture, ne risque-t-on pas de perdre un pan précieux de notre patrimoine ? (si ce n’est pas déjà fait).

Réflexions

Sans être alarmiste, le film reste foncièrement pessimiste. Ses tentatives d’optimisme – notamment le final qui passe le relai de l’espoir aux générations futures – dissimulent difficilement un triste constat. Les preuves scientifiques, quoi qu’irréfutables, peine à convaincre l’Homme, peu enclin à changer son comportement. Pour certains le réchauffement climatique reste une fable. D’autres ne se sentent tout simplement pas concerné… Pourtant le film suggère qu’il ne pourra y avoir qu’un mouvement de masse, que le réchauffement climatique ne pourra être envisagé qu’en tant qu’espèce.

Suivant votre opinion, le film se reflètera en vous différemment. C’est d’ailleurs là l’une des grandes qualités de La glace et le ciel : il ne laisse pas de glace et appelle à la réflexion. Toutefois, cela peut avoir l’effet d’un retour de bâton assez fataliste. Mis en perspective avec les récents évènements écologiques (les catastrophes se multiplient sans grande conséquence sur notre comportement) et sociaux (comment envisager l’humanité unie contre l’effet de serre quand elle n’est pas capable d’un tant soit peu de solidarité) difficile d’être optimiste.
Accroche ta ceinture mon copain (ou ma copine), car si tu es un peu sensible à ces thématiques, La glace et le ciel risque de te faire l’effet d’une claque dans ta gueule.

Mets ta cagoule et Métaprojet

La glace et le ciel n’est en fait pas qu’un film, mais un projet plus vaste, qui mélange les formats (le « cross média » dans la langue de Molière) : « un film long-métrage de cinéma, un documentaire de télévision, un programme pédagogique, un laboratoire d’innovation et une grande expédition en Antarctique. » Tout un programme donc.

Mais il faut au moins ça pour que les générations futures aient conscience que l’on a sciemment scié la branche sur laquelle elles seront assises.

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Colin
Colin
Chroniqueur graphique névrosé, passionné de cinéma de bourrinage vidéo-ludique et de Russ Meyer.

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