Elle est un court-métrage fantastique – mais pas que- réalisé par Vincent Toujas. Le souffle de modernité parcourant le projet, consistant à naviguer sans entrave d’un horizon à l’autre, semble s’inscrire dans la continuité du beau film Spring, découvert en 2014 sur les plateformes VOD.
A la suite d’un terrible accident de voiture dont ils sont témoins, Maria et Jonathan tombent fous amoureux l’un de l’autre. Dès le premier soir, Maria décide de ramener le jeune homme chez elle. Seulement, elle ne semble pas habiter seule. Et ce n’est ni un animal de compagnie, ni un colocataire qui semble partager sa vie en appartement…
La structure narrative de « Elle » s’articule autour d’un jeu de fausses pistes. Difficile de savoir en effet où l’histoire va nous mener de prime abord, et ce n’est qu’après une quinzaine de minutes que nous sera révélé le vrai dessein du film.
D’abord introduit comme un drame humain dans la première séquence, lors d’un générique à la fois virtuose et macabre, l’on découvre un cadavre ensanglanté dans l’habitacle d’une voiture, à la suite d’un terrible accident de la route. Une série de travellings au ralenti, mettant en images la procédure policière habituelle à la suite d’une collision, où les témoins sont pris en charge, où le périmètre de sécurité est établi. C’est dans ce cadre pour le moins surprenant que Jonathan voit pour la première fois, subjugué, le visage de Maria encore fragilisée par les événements récents.
Dès la séquence suivante, le contexte meurtrier n’existe déjà presque plus. Le cadre ne contient plus que les corps des deux futurs amoureux, évinçant alors complètement le décor morbide qui avait introduit le film. Première fausse piste donc, car ce qui semble finalement intéresser le metteur en scène ici, c’est bien la vitalité de la rencontre.
Rupture de nouveau lorsque les tourtereaux se retrouvent devant l’appartement de Maria, en pleine étreinte passionnée et étonnamment légère, comme si les événements précédents avaient été complètement évincés de leur mémoire. Le film nous fait migrer ainsi vers le registre de la comédie romantique, à l’échelle d’un cut entre deux décors.
Sans en révéler davantage sur l’intrigue elle-même – et ce serait bien dommage tant l’intérêt du film réside dans cette liberté thématique – le film opèrera deux nouveaux virages radicaux, de l’épouvante, au fantastique pur et dur.
A cet égard, il faut saluer l’audace du réalisateur Vincent Trojas et du scénariste/producteur Giles Daoust, qui se permettent de peindre avec toutes les couleurs en même temps, sur une toile limitée par ses courtes dimensions (20 min). Cette soif d’expérimentation, cette façon de s’approprier librement l’espace du court-métrage, a quelque chose d’extrêmement rafraichissant car, quelque soit l’appréciation que l’on aura du film à son terme, il est indéniable que le projet propose quelque chose de neuf dans le paysage actuel.
Elle n’est pas toujours exempt d’erreurs, ou d’approximations de mise en scène, tant la diversité rend la cohérence de l’objet délicate. Par exemple, les effets de suspense autour de l’habitant mystérieux de l’appartement ne sont pas toujours réussis car précisément, le mélange entre deux ingrédients ne prend pas toujours. Les codes de réalisation, empruntant ponctuellement à un genre (l’horreur/épouvante ici) pour finalement en adopter d’autres l’instant suivant, donnent lieu à quelques associations douteuses.
Le pari était ardu à la hauteur de ses grandes ambitions, mais il semble que le film aurait gagné à être pensé dans une cohérence esthétique globale, de manière à fondre ses propres dichotomies dans une vision organique de son univers.
Mais force est de constater que quelque chose de profondément touchant émane de ce film court, fragile mais vivant, bordélique mais sincère. A l’image de cette créature étrange que l’on découvrira à l’issu du visionnage, «Elle » nous incite à nous laver les yeux, à pénétrer dans un univers sans à priori de spectateur. De cette manière, le film a peut-être besoin de cette imperfection pour fonctionner, à l’image de cette rencontre amoureuse, où la seule façon d’entrevoir la beauté véritable consiste à en accepter les failles, à se laisser désarçonner.