Le doublage IA d’Alain Dorval (Sylvester Stallone), figure emblématique du métier, provoque un tollé dans le monde du doublage et soulève des questions éthiques.
Une publication sur X (Twitter), rapidement supprimée par ElevenLabs, une société spécialisée dans la synthèse vocale basée sur l’intelligence artificielle, a révélé une tentative de recréation artificielle de la voix d’Alain Dorval, figure légendaire du doublage français décédée en février 2024. Cette initiative, destinée à accompagner la sortie française du film ‘Armored‘ en mars 2025, a suscité une vague de critiques virulentes de la part des comédiens de doublage, des cinéphiles et des défenseurs des droits des artistes.
Dans ce post, ElevenLabs annonçait fièrement :
‘En mars 2025, ‘Armored’ sera présenté en première en France en tant que premier long-métrage à utiliser notre doublage IA. Nous avons collaboré avec Lumière Ventures et la succession d’Alain Dorval, la voix française emblématique de Sylvester Stallone, pour garantir que son œuvre perdure et que le public français entende les personnages de Stallone comme ils l’ont toujours fait. ‘Nous voulions faire quelque chose qui rende hommage au savoir-faire et à l’héritage de mon père’, a déclaré Aurore Bergé, la fille d’Alain Dorval. Nous avons fondé ElevenLabs pour permettre aux histoires d’atteindre le public dans leur langue maternelle sans perdre l’émotion et les nuances qui les rendent captivantes. Recréer une voix si profondément liée à la mémoire collective est un exemple passionnant de la façon dont la technologie peut honorer la tradition tout en créant de nouvelles possibilités dans la production cinématographique.‘
Jugez par vous-même… Déjà que niveau éthique, c’est immonde, mais le résultat l’est tout autant. pic.twitter.com/iVISHhDEn6
— Dominique Grauss-Kahn (@FrenchJohnDoe) January 11, 2025
Une réaction unanime
Ce samedi 11 janvier 2025, une avalanche de réactions a éclaté face à l’annonce controversée d’ElevenLabs, notamment après la diffusion du résultat audio du doublage. L’extrait, censé reproduire la voix d’Alain Dorval, révèle une imitation reconnaissable, mais profondément mécanique, sans âme, et disons les choses clairement, tout simplement dégueulasse !
Pascale Chemin, comédienne de doublage, n’a pas mâché ses mots en dénonçant l’initiative : ‘Comment A. Bergé accepte ne serait-ce qu’un essai ? Elle ignorait l’engagement de son père dans le métier ? Le résultat est de la merde en barre.’
Aurore Bergé, ministre en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes, et fille d’Alain Dorval, a réagi sur les réseaux sociaux pour clarifier sa position. Elle a écrit : ‘J’ai donné mon accord pour un essai. Uniquement un essai. Un accord me garantissant strictement que ma mère et moi-même serions en validation finale avant toute utilisation/publication. Et que rien ne pourrait se faire sans notre accord. Je découvre… sur X que cet engagement n’est pas respecté. Je n’ai jamais validé une telle diffusion. Et mon père ne l’aurait jamais validée en l’état.’
J’ai donné mon accord pour un essai. Uniquement un essai.
Un accord me garantissant strictement que ma mère et moi même serions en validation finale avant toute utilisation/ publication. Et que rien ne pourrait se faire sans notre accord.
Je découvre… sur X que cet engagement…
— Aurore Bergé (@auroreberge) January 10, 2025
Cette mise au point semble avoir directement entraîné le retrait du post par ElevenLabs. Toutefois, la colère des professionnels du doublage reste vive. Donald Reignoux, voix française d’Andrew Garfield, Jesse Eisenberg et Paul Dano, a répondu à Aurore Bergé avec des mots lourds de sens : ‘Mais déjà pourquoi un essai ? Votre père était un grand monsieur du doublage et je pense, ce n’est que mon avis, n’aurait pas aimé poser le premier pas vers la destruction du métier qu’il a tant aimé et en plus… défendu.’
Mais déjà pourquoi un essai ? Votre père était un grand monsieur du doublage et je pense, ce n’est que mon avis, n’aurait pas aimé poser le premier pas vers la destruction du métier qu’il a tant aimé et en plus…. Défendu.
— Donald Reignoux (@DonaldReignoux) January 10, 2025
Pascale Chemin a enfoncé le clou en ajoutant : ‘Madame, le résultat n’est pas à la hauteur de votre papa, c’est au contraire une insulte à son talent. Au vu de son engagement pour défendre le métier, je suis très étonnée que vous ayez accepté ne serait-ce qu’un essai. L’IA au micro c’est de la merde en barre et ça tue le métier.’
Madame, le résultat n’est pas à la hauteur de votre papa, c’est au contraire une insulte à son talent. Au vu de son engagement pour défendre le métier, je suis très étonnée que vous ayez accepté ne serait-ce qu’1 essai. L’#IA au micro c’est de la #merdeenbarre et ça tue le métier
— Pascale Chemin (@PascaleChemin) January 11, 2025
Plus surprenant, Dominique Dumont, épouse d’Alain Dorval et elle-même figure emblématique du doublage, s’est retrouvée au cœur de la polémique. Réputée pour prêter sa voix à Heather Locklear et Mariska Hargitay (Olivia Benson dans New York, unité spéciale), elle a surpris la profession en acceptant de participer à cette expérience controversée. Cette décision a d’autant plus choqué qu’elle intervient dans un contexte où l’intelligence artificielle menace directement sa profession.
Ces réactions traduisent une inquiétude généralisée quant à l’impact croissant de l’intelligence artificielle sur l’industrie du doublage, une inquiétude qui dépasse largement ce cas particulier.
Une nouvelle menace pour les artistes du doublage
Cet incident s’inscrit dans un contexte plus large où l’intelligence artificielle bouleverse l’industrie du doublage, au détriment des artistes humains. Comme le révélait déjà le cas de ‘My Little Pony : Raconte ton histoire‘, des voix générées par IA ont remplacé les comédiens belges habituels pour la deuxième saison. Le résultat, marqué par des traductions littérales et une synchronisation labiale médiocre, avait suscité une indignation similaire.
L’outil HeyGen, capable de cloner des voix et de synchroniser les mouvements de bouche, illustre aussi ces dérives technologiques. Bien que prometteur sur le plan technique, il menace des métiers entiers, allant des comédiens de doublage aux ingénieurs du son, en passant par les auteurs et traducteurs.
L’exemple de Scarlett Johansson met encore en lumière ces risques. Lorsque l’actrice a refusé que sa voix soit reproduite par l’IA pour des contenus développés par ChatGPT 4.0, une autre comédienne a été sollicitée pour imiter sa voix. Scarlett Johansson a intenté une action en justice, dénonçant l’utilisation abusive de son identité vocale et soulignant les dangers de l’ère des deepfakes et de la désinformation.
La polémique autour d’Alain Dorval reflète également une tendance inquiétante où les œuvres originales, les droits des artistes et l’authenticité sont sacrifiés au nom de l’ ‘innovation’. Si ElevenLabs affirme vouloir ‘honorer’ la mémoire d’Alain Dorval, le recours à un doublage artificiel pour un film comme ‘Armored‘ – un direct-to-video insignifiant sorti en novembre 2024 aux États-Unis – démontre une quête de profit au détriment du respect de l’artiste.
Une exception culturelle en danger
En France, les comédiens de doublage, soutenus par des associations comme le Syndicat Français des Artistes et United Voice Artist, ont récemment alerté sur la nécessité de préserver l’exception culturelle du doublage. Ils ont interpellé Rachida Dati, ministre de la Culture, pour demander des mesures concrètes face à la menace croissante de l’IA.
La voix d’Alain Dorval, profondément ancrée dans la mémoire collective, aurait dû être protégée avec soin. Cette affaire pourrait bien marquer un tournant dans la lutte pour la préservation des métiers artistiques face aux avancées souvent agressives de l’intelligence artificielle. La réaction d’Aurore Bergé, bien qu’ayant suscité de nombreuses critiques, pourrait devenir un catalyseur pour une réflexion plus large sur les dérives de ces technologies dans le domaine du doublage.
Ayant grandi aux côtés du métier que son père a incarné avec passion, elle a l’opportunité d’amorcer un véritable changement. Une collaboration entre elle et la ministre de la Culture, Rachida Dati, pourrait être un premier pas essentiel pour établir des protections claires et durables pour les artistes, les comédiens de doublage, et tous les professionnels menacés par ces innovations mal encadrées.