Un plan séquence de deux bouches qui s’embrassent : retour sur le clip culte « You Are My High » de Demon, qui a marqué la scène électronique française.
L’origine du titre « You Are My High »
Tout commence avec Jérémie Mondon, alias Demon, un jeune producteur français qui a sorti son premier album chez Sony Music, Midnight Funk, en 1999. Il s’inscrit dans le courant de la French touch tout en s’inspirant du hip-hop. Il veut alors produire un titre pour déchaîner les foules pendant ses sets en live. Il sample donc le titre You Are My High du Gap Band pour créer ce titre house du même nom ; il remporte son pari : c’est un grand succès commercial, qui lui vaut ensuite de remixer Daft Punk, Mr. Oizo ou Etienne de Crécy.
Mais il y a un détail intrigant dans le titre : le fameux Heartbreaker crédité dans le featuring n’existe pas. C’est une pure invention de Demon, qui veut incarner le sample avec un nom fictif. ‘Heartbreaker est un concept inventé comme un featuring imaginaire‘ confie-t-il aux Inrockuptibles en 2018.
L’influence du magazine WAD
Le morceau sort en vinyle en 2000, en pressant seulement 500 ou 1000 exemplaires. Il connaît un tel succès qu’il faut le represser plusieurs fois. C’est une petite bombe pour DJ qui passe surtout en club. Mais Demon décide de le clipper pour continuer l’histoire. Et l’idée du clip lui vient d’une manière assez simple : en regardant une couverture de magazine.
En effet, Demon est ami avec les gens du magazine WAD, qui traite de l’univers des soirées et qui est proche des DJ comme David Guetta ou Bob Sinclar. Il remarque une couverture du magazine qui montre un baiser entre deux personnes dont on ne distingue pas le genre. C’est un French kiss, un symbole universel de la sensualité. Demon veut reprendre cette idée pour accompagner son morceau, qui joue sur le même thème.
‘Un jour, pendant une réunion, le producteur du label, Julien Creuzard, pointe du doigt le poster d’un magazine. C’était une couverture du magazine WAD avec un baiser en pleine page. On avait trouvé l’idée du clip‘ raconte-t-il aux Inrockuptibles.
Les coulisses du clip le plus chaud de la French touch
Demon obtient l’autorisation de WAD à condition d’embaucher les deux modèles de la photo pour le clip. Il s’agit de Draghixa Jovanović, aussi connue sous le nom de Draghixa Laurent, une actrice pornographique française d’origine serbe, qui était la superstar du moment, et Hakim, un mannequin de 18 ans qui avait déjà croisé Draghixa.
Fabien Dufils réalise le clip, qui veut faire un truc à la Warhol : un plan séquence fixe sans aucun cut. Il utilise des effets de lumière, de flou et de lissage pour rendre l’image plus soft et plus sensuelle. Il ajoute aussi des barres noires pour cacher une partie de l’image et jouer sur l’ambiguïté du genre des acteurs.
Mais le tournage n’est pas si facile que ça, car il faut respecter des contraintes techniques et esthétiques. Il faut que la lumière passe entre les bouches, qu’il n’y ait pas de fils de bave, que le bisou soit doux et pas vulgaire. Il faut aussi que le clip monte en intensité et tienne en haleine le spectateur. Ce n’est pas un grand moment de plaisir, mais un travail physique.
‘J’étais concentrée pour que ce soit le plus joli possible. Il fallait aussi que ça te tienne en haleine tout le long, donc que ça monte, ça monte, ça monte‘ témoigne Draghixa pour Mixmag en 2017.
Le clip est tourné en accéléré et ralenti ensuite pour donner un effet sensuel. Il y a des jeux de lumières, des lentilles spéciales et des filtres pour rendre les peaux plus lisses. Il y a aussi des barres noires pour cacher une partie de l’image et jouer sur l’ambiguïté du genre des acteurs.
La censure et la popularité du clip
Le clip est diffusé sur M6, et les réactions ne se font pas attendre : des associations de mères catholiques se plaignent, et l’affaire finit devant le CSA. La polémique amène une énorme visibilité au titre, sans en entraver la portée : ‘Au final, il a été autorisé et passait à n’importe quelle heure de la journée‘ poursuit Demon, interviewé en 2015 par le webzine Metamusique (via Tsugi).
‘Ce qui incroyable, c’est que le clip est censuré sur YouTube. C’est une régression. En l’an 2000, il passait à la télé dans la journée. En 2017, tu ne peux pas le voir si tu as 17 ans. Alors que tu peux avoir 12 ans et voir des gens sauter d’une fenêtre.‘
Demon est surpris de voir son clip indé se retrouver dans le classement des clips les plus sexy de l’année, aux côtés de ceux de Jennifer Lopez ou Britney Spears. ‘Je n’avais clairement rien à faire là. Je n’ai pas gagné, mais c’était drôle !‘.
‘Un matin je me suis réveillé en zappant devant l’émission Fan 2 présentée par Séverine Ferrer. Elle parlait de You Are My High dans le classement des clips les plus sexy de l’année. Le fait de voir ce petit clip indé entre ceux de Jennifer Lopez et Britney Spears, ça n’avait pas trop de sens pour moi‘ confie-t-il aux Inrockuptibles.
Le clip devient culte et marque la vie de beaucoup de gens, qui s’embrassent, se marient ou se rencontrent sur cette musique : ‘J’ai encore des copines qui me disent : « grâce à ton clip, j’ai embrassé mon mari. » Le clip a généré de l’amour, il a aidé à ce que des couples se forment, s’embrassent derrière une porte en soirée. Je connais des gens qui se sont mariés grâce au clip !‘ déclare Fabien Dufils à Mixmag.
Jérémie Mondon ajoute : ‘Des gens me racontent qu’ils se sont mariés sur cette musique. D’autres me disent qu’ils ont chopé leur première nana ou leur premier mec sur ce morceau‘.
Les imitations du clip de You Are My High
Preuve s’il en est que le titre est emblématique de son époque, le groupe Agar Agar reprend ce titre en 2017 pour accompagner un épisode de la série documentaire d’Arte Touche Française. On peut aussi entendre le titre de Demon dans le film Play, avec Max Boublil, sorti en 2019 et dont l’action se situe en partie au début des années 2000.
Mais le plus grand clin d’œil au titre de Demon est sans doute celui de Disclosure et Flume, qui ont repris son idée du baiser en gros plan pour leur clip You & Me en 2013. Le clip est très similaire à celui de Demon, mais il est moins cru et moins interpellant que le sien.
Jérémie Mondon confie à ce sujet à Mixmag : ‘Les gens ne sont pas dupes. En voyant le clip de Flume, ils se sont dits que c’était inspiré de Demon. Tu sens la citation. Le morceau de Flume est mortel mais le clip est un peu bubble gum, ce n’est pas du tout le même discours. Vachement résigné, moins cru, moins choquant et interpellant que les grosses langues roses de You Are My High. C’est assez symbolique de la différence de la musique et de la culture actuelle et ce qui se faisait à l’époque.‘
Un phénomène qui traverse les époques
Le clip de You Are My High est un phénomène de la culture française, qui a su capter l’esprit d’une époque où la musique électronique était au sommet. Il a aussi suscité la controverse et la censure, ce qui a renforcé son statut culte.
Si l’histoire de la French touch vous intéresse, retrouvez également les dossiers a l’histoire des labels Crydamoure et Roulé, de Guy-Manuel de Homem-Christo et Thomas Bangalter, Daft Punk.
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